AU BALCON – Intervallo | Giuseppe Di Salvatore

Essay zur Installation «Wer nie sein Brot mit Tränen ass…»

Je formulerais ainsi la question de la migration en Europe : que signifie habiter à l’époque du néonomadisme ? Car, même si à l’origine du phénomène de migration il y a un désir de changement pour le meilleur, ou bien une fuite de la pauvreté et de la violence, la migration s’avère en réalité du nomadisme, parce que l’accueil européen se fait dans le manque, manque d’espace et manque d’envie ; il se fait sous le signe de la mobilité. Habiter à l’époque du néonomadisme se reflète dans les espaces intérieurs, vécus comme refuges dans le privé, et dans l’extériorité urbaine : le travail ou la flânerie étourdie, où l’espace public est fait de stratégies de fuite, d’évitement, de voyage. Dans l’opposition moderne du privé et du public, si bien distingués, le migrant se trouve entre le cadre et la fonction : entre, d’une part, l’encadrement de l’habitation modulaire, cheap, souvent héritage de l’après-guerre des années 50, habitation qui se destine presque naturellement aux survivants des guerres de sang ou de corruption d’aujourd’hui, et, d’autre part, les fonctionnements et le dysfonctionnement de l’ordre public, de la réglementation bureaucratique du travail et de l’espace en Europe.

Mais le lieu naturel du migrant n’est ni à l’intérieur ni à l’extérieur, mais plutôt entre-deux. Et entre-deux, il y a les balcons. Sur les balcons on est chez soi, mais en même temps dans un espace d’exposition qui déstabilise le chez-soi. Sur les balcons on ne sait pas trop quoi faire : fumer, songer, rêver, regarder sans but, sans rien voir, bouger sans vraiment bouger, respirer l’air frais sans être vraiment dans l’air libre, ou bien accumuler ses propres poubelles, se refléter dans les autres balcons, miroirs muets d’un théâtre aux histoires morcelées. Les balcons sont un espace où faire surface, ils constituent une surface perméable, fragile, une surface qui respire sans intentions, une trame d’ouvertures fixées, suspendues sur le vide d’une cour ou d’une ruelle. Les balcons sont la peau de l’habiter, ce qui fait communiquer le privé et le public, en défiant leur distinction, en défiant la modernité : les balcons sont un lieu politique.
Et nous nous trouvons dans un espace d’exposition troublé et déstabilisé par le chez-soi des migrants. Nous sommes attirés dans la spirale du voyeurisme, nous nous retrouvons sur les surfaces des balcons. Nous regardons d’où l’on regarde, nous regardons les yeux qui regardent. Et peut-être ne regardons-nous même plus, car nous sommes la vue elle-même qui se regarde, nous sommes le croisement des regards. Si l’espace d’habitation peut exprimer une Stimmung existentielle, alors le balcon exprime l’existence elle-même, ex-istentia, situation excessive, stanza de plus, entre-deux, Zwischenraum, intervalle, entre le dedans et le dehors, lieu de passage. Le balcon est le lieu naturel du migrant, le lieu où les migrants migrent même en restant chez eux. Nous sommes tous des oiseaux sur les balcons : à la maison et prêts à voler à la fois. Le balcon est la synthèse architecturale de la maison et du voyage, de la provenance et du départ.
Que signifie habiter à l’époque du néonomadisme ? Être au balcon.